Il m’est arrivé de rencontrer des personnes qui n’ont aucune attirance pour le voyage et elles sont rares. Nous voyageons tous, vers des destinations plus ou moins lointaines. Ce qui diffère ce sont les intentions, les manières, les moyens et les buts de ces voyages.
Chaque individu qui vit ce que j’appelle la révolution de la quarantaine, la traverse à sa façon. Dans mon cas, cela s’est manifesté par des changements de vie et d’orientation radicaux dont le plus porteur, le plus transformateur et le plus exaltant a été un voyage d’un an et demi en Asie. Et quelles peuvent donc être les motivations d’une femme de quarante ans pour quitter emploi et compagnon afin de se lancer dans une aventure pleine d’inconnu ? D’abord, ce fut de me donner le droit de réaliser mon rêve d’adolescente de partir, en toute liberté, à la découverte du monde et un profond élan connecté à mes choix d’âme. Enfin le monde m’était ouvert et j’étais ouverte au monde. Ensuite, comme je le dis dans l’introduction de Passagère du Vent : «A partir de l'été 1999, je ressens une insatisfaction générale face aux divers aspects de mon existence dont je vois l'édifice s’effondrer pan par pan.»
Au cours de cet effondrement qui me laisse très désorientée, je reçois d’une voyante le message que le voyage que je me prépare à entreprendre sera un voyage initiatique. Initiatique dans quel sens ? Mystère !!! Et cependant, cela fait sens pour moi.
La Conscience qui aspire à s’éveiller en chaque Être met en œuvre mille stratégies pour se faire entendre de la personnalité limitée par ses multiples croyances. |
Je partage le pèlerinage vers Soi qui en a découlé dans le récit autobiographique intitulé Passagère du Vent. Un voyage surprenant, sans aucune planification au cours duquel la Vie m’a proposé des joies et de épreuves, des rencontres et de la solitude, des aventures et des initiations, de l’Inde au Tibet, en passant par Bornéo, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge et la Chine. Chaque pays, de par son caractère même et la façon dont je m’y suis reliée naturellement, m’a offert l’occasion de vivre des expériences qui se complètent les unes les autres pour dessiner la grande mosaïque de ces dix huit mois de pérégrination. La variété des situations et les rencontres avec les saddhus dont j’ai partagé l’existence, sont sans doute les traits les plus originaux de ce récit. Je fais le vœux qu’il réjouisse autant le cœur de celles et ceux qui le liront comme un roman que d’autres qui y puiseront le matériau pour ensemencer leur propre cheminement ou y verront un encouragement à oser réaliser leurs rêves.
Il n’est pas anodin de s’autoriser et s’offrir, à plus de quarante ans, la liberté de partir sans savoir quand on va revenir ni se soucier du futur. Certains pourront voir de l’inconscience là où il faut certes un grain de folie, celle dont parlait Zorba dans le film Zorba le Grec. Je m’en croyais dépourvue et découvre dans cet élan de l’âme qui m’a propulsée seule vers l’inconnu, sans peur et sans reproches, que j’en ai à revendre. Le désir profond qui m’anime et me permettra de faire des pas décisifs vers l’expression authentique de qui Je Suis me pousse vers cet ailleurs, ces terres étrangères dont la nouveauté met entre parenthèse nombre de conditionnements limitants. Acceptant de naviguer au gré du vent, émerveillée et le cœur ouvert, dans un environnement qui bouscule tous mes points de repères, je me laisse surprendre et retrouve beaucoup de fraîcheur dans l’expérience de l’instant. De retour en Suisse, je suis surprise de constater à quel point la peur a été absente en dépit de situations parfois épineuses. On dit pourtant que l’homme a peur de l’inconnu. Et si il n’en était pas tout à fait ainsi ? Dans mon vécu, je dirais plutôt que la peur s’active souvent lors de comparaisons avec ce qui nous est habituel et donc confortable ou dans des projections vers le futur. En traversant alors ce que la Vie me proposait avec confiance, en m’accrochant très peu à des aspects familiers et sans tenter de faire des prévisions futures, je me suis sentie très tranquille, à tel point que j’ai eu l’illusion que la peur m’avait définitivement quittée. Oh, erreur… Replongée dans le contexte européen, elle est bien vite revenue, non seulement me visiter mais aussi m’envahir.
Le décalage entre la vie libre du voyage et la réalité contraignante de la société occidentale et de son matérialisme à outrance ont eu raison de ma zénitude. Et, si je publie cet ouvrage vingts ans plus tard cela montre bien le temps qu’il m’a fallut pour maturer et intégrer les expériences du voyage et de ses initiations. La qualité du récit s’en trouve étoffée et approfondie, mettant en relief le vécu du voyage avec des allers et retour entre le présent du récit et des épisodes du passé et du futur. Passagère du Vent offre divers niveaux de lecture possibles. Des aventures parfois rocambolesques d’une voyageuse parcourant l’Asie au gré de ses fantaisies, en passant par la psychologie d’une occidentale confrontée à des cultures très différentes de la sienne et le cheminement d’une âme en quête d’elle-même, jusqu’aux expériences initiatiques au cours desquelles elle vit des ouvertures de conscience.
Surya Baudet
Article paru dans le mensuel n°343 de la Revue Recto Verseau