Revue Recto Verseau n°343 – Septembre 2022
Il
m’est arrivé de rencontrer des personnes qui n’ont aucune
attirance pour le voyage et elles sont rares. Nous voyageons tous,
vers des destinations plus ou moins lointaines. Ce qui diffère ce
sont les intentions, les manières, les moyens et les buts de ces
voyages.
Chaque
individu qui vit ce que j’appelle la révolution de la quarantaine,
la traverse à sa façon. Dans mon cas, cela s’est manifesté par
des changements de vie et d’orientation radicaux dont le plus
porteur, le plus transformateur et le plus exaltant a été un voyage
d’un an et demi en Asie. Et quelles peuvent donc être les
motivations d’une femme de quarante ans pour quitter emploi et
compagnon afin de se lancer dans une aventure pleine d’inconnu ?
D’abord, ce fut de me donner le droit de réaliser mon rêve
d’adolescente de partir, en toute liberté, à la découverte du
monde et un profond élan connecté à mes choix d’âme. Enfin le
monde m’était ouvert et j’étais ouverte au monde. Ensuite,
comme je le dis dans l’introduction de Passagère
du Vent :
«A
partir de l'été 1999, je ressens une insatisfaction générale face
aux divers aspects de mon existence dont je vois l'édifice
s’effondrer pan par pan.»
Au
cours de cet effondrement qui me laisse très désorientée, je
reçois d’une voyante le message que le voyage que je me prépare à
entreprendre sera un voyage initiatique. Initiatique dans quel sens ?
Mystère !!! Et cependant, cela fait sens pour moi.
La
Conscience qui aspire à s’éveiller en chaque Être met en œuvre
mille stratégies pour se faire entendre de la personnalité limitée
par ses multiples croyances. Parce que chaque parcourt est unique, il
est aussi, potentiellement, une source d’inspiration pour tout
individu qui œuvre à se rapprocher de qui il est en essence.
Enfermée dans une vision du monde très matérialiste, j’ai
longtemps ignoré ces moments où la Conscience est venue frapper à
ma porte. Des événements majeurs et percutants ont rendus
impossible de faire plus longtemps la sourde oreille à cet appel.
Je
partage le pèlerinage vers Soi qui en a découlé dans le récit
autobiographique intitulé Passagère
du Vent.
Un voyage surprenant, sans aucune planification au cours duquel la
Vie m’a proposé des joies et de épreuves, des rencontres et de la
solitude, des aventures et des initiations, de l’Inde au Tibet, en
passant par Bornéo, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge
et la Chine. Chaque pays, de par son caractère même et la façon
dont je m’y suis reliée naturellement, m’a offert l’occasion
de vivre des expériences qui se complètent les unes les autres pour
dessiner la grande mosaïque de ces dix huit mois de pérégrination.
La variété des situations et les rencontres avec les saddhus dont
j’ai partagé l’existence, sont sans doute les traits les plus
originaux de ce récit. Je fais le vœux qu’il réjouisse autant le
cœur de celles et ceux qui le liront comme un roman que d’autres
qui y puiseront le matériau pour ensemencer leur propre cheminement
ou y verront un encouragement à oser réaliser leurs rêves.
Il
n’est pas anodin de s’autoriser et s’offrir, à plus de
quarante ans, la liberté de partir sans savoir quand on va revenir
ni se soucier du futur. Certains pourront voir de l’inconscience là
où il faut certes un grain de folie, celle dont parlait Zorba dans
le film Zorba
le Grec.
Je m’en croyais dépourvue et découvre dans cet élan de l’âme
qui m’a propulsée seule vers l’inconnu, sans peur et sans
reproches, que j’en ai à revendre. Le désir profond qui m’anime
et me permettra de faire des pas décisifs vers l’expression
authentique de qui Je Suis me pousse vers cet ailleurs, ces terres
étrangères dont la nouveauté met entre parenthèse nombre de
conditionnements limitants. Acceptant de naviguer au gré du vent,
émerveillée et le cœur ouvert, dans un environnement qui bouscule
tous mes points de repères, je me laisse surprendre et retrouve
beaucoup
de
fraîcheur dans l’expérience de l’instant. De retour en Suisse,
je suis surprise de constater à quel point la peur a été absente
en dépit de situations parfois épineuses. On dit pourtant que
l’homme a peur de l’inconnu. Et si il n’en était pas tout à
fait ainsi ? Dans mon
vécu, je dirais plutôt que la peur s’active souvent lors de
comparaisons avec ce qui nous est habituel et donc confortable ou
dans des projections vers le futur. En traversant alors ce que la Vie
me proposait avec confiance, en m’accrochant très peu à des
aspects familiers et sans tenter de faire des prévisions futures, je
me suis sentie très tranquille, à tel point que j’ai eu
l’illusion que la peur m’avait définitivement quittée. Oh,
erreur… Replongée dans le contexte européen, elle est bien vite
revenue, non seulement me visiter mais aussi m’envahir.
Le
décalage entre la vie libre du voyage et la réalité contraignante
de la société occidentale et de son matérialisme à outrance ont
eu raison de ma zénitude. Et, si je publie cet ouvrage vingts ans
plus tard cela montre bien le temps qu’il m’a fallut pour maturer
et intégrer les expériences du voyage et de ses initiations. La
qualité du récit s’en trouve étoffée et approfondie, mettant en
relief le vécu du voyage avec des allers et retour entre le présent
du récit et des épisodes du passé et du futur. Passagère
du Vent
offre divers niveaux de lecture possibles. Des aventures parfois
rocambolesques d’une voyageuse parcourant l’Asie au gré de ses
fantaisies, en passant par la psychologie d’une occidentale
confrontée à des cultures très différentes de la sienne et le
cheminement d’une âme en quête d’elle-même, jusqu’aux
expériences initiatiques au cours desquelles elle vit des ouvertures
de conscience.
Surya
Baudet
suryadance@gmail.com